Extraits

Mariage

Après la terminale se pose la question des études supérieures : ce sera à Lyon. Il nous faut un appartement puisque de toute façon nous avons décidé de vivre ensemble. Comme ma mère et son père sont opposés à ce projet, nous décidons d’attendre nos dix-huit ans et de nous marier. Les deux familles se voient régulièrement pour discuter de notre cas. Il y a de nombreux cris et crises entre mes parents et moi.

Le mariage est une occasion d’afficher ma différence et de la faire valider de force par nos deux familles. C’est surtout ma mère et mon futur beau-père qui y voient une difficulté, même si je m’entends bien avec le père d’A. et qu’il apprécie que je sois à l’aise avec son handicap. Mon père et ma future belle-mère sont prêts à nous laisser faire. Ma future belle-mère pense qu’« après tout, le divorce, ce n’est pas fait pour les chiens ».

Papa, lui, aime beaucoup A., même si leurs idées politiques sont très différentes. Elle est socialiste et lui plutôt conservateur et traditionnel ce qui occasionne de longues discussions et argumentations, mais ils se rejoignent sur leur amour de la littérature. Il la trouve intelligente et jolie. Il la prend beaucoup en photo.

En revanche, Maman reproche à A. de m’empêcher de travailler et de m’inculquer des idées marxistes. Elle ne l’attaque cependant jamais frontalement. Elle fait bonne figure. Elle finit par accepter le mariage par soumission à son mari. C’est à lui de décider, une fois n’est pas coutume !

Pour mes beaux-parents, ce qui pourrait faire obstacle à notre mariage, c’est surtout le fait que je n’aie pas de travail. Mon beau-père avait des origines paysannes. Son handicap lui avait paradoxalement permis de devenir kinésithérapeute, ce qui le met en marge de sa propre famille. Mais le statut social bourgeois de mes beaux-parents est récent et surtout il est le fruit de leur travail, contrairement à celui de mes parents qui est hérité. Ainsi, ma belle-mère est-elle très attentive à tous les signes d’appartenance à un milieu social. Elle s’est acheté un collier de perles, parce que ma mère en avait un.

Pour préparer le mariage, nous faisons une retraite à l’abbaye de Pradines. Le père M., un ami des parents d’A., nous reçoit plusieurs fois. Il est très compréhensif et aide tout le monde à dédramatiser.

C’est lui qui nous marie au mois de septembre 1975, dans la petite chapelle de Saint-Vincent-de-Boisset, près de Roanne où se trouve le chalet de mes beaux-parents. Je viens de brillamment rater mon bac et A. de réussir le sien.

C’est un mariage qui fait parler dans la famille. Mais on fait « comme si » c’était un beau mariage, dans lequel on aurait tout fait « comme il faut ». Fiançailles, mairie, église, robe, réception dans une auberge à Thizy, tout est bien préparé. Nous n’avons que dix-huit ans, mais nous sommes très attentifs avec A. à ce que ce mariage ne soit pas trop traditionnel et qu’il nous ressemble. Ainsi nous entrons tous les deux ensemble dans l’église sans que ma mère ou le père d’A. nous conduisent à l’autel. Nous avons choisi une formule particulière pour l’échange des consentements qui se terminait, de mémoire, par « Je mets ma main dans la tienne et avec toi je veux vieillir » empruntée au Prophète de Khalil Gibran, poète libanais.

Ma mère se fait elle-même sa tenue de soirée, ce qu’elle ne fera pas pour le mariage de ma sœur. Elle est tout de même très chic, du fait de son élégance naturelle, mais elle ne fait pas d’effort. Mon père très strict dans un costume bleu marine a accepté de porter pour la première fois un nœud papillon à la demande de sa future belle-fille qui trouve qu’ainsi il ressemble « à un gros chat »…

Les familles des deux côtés sont présentes, oncles, tantes, cousins, cousines, ainsi que tous nos amis. A. porte une belle robe blanche avec une petite traîne, mais n’a pas voulu porter de voile, à mon grand désespoir. Nos amis sont venus animer la messe à la guitare dans une ambiance un peu « baba ». Pendant la cérémonie, je suis très ému, pris entre mon hypersensibilité et, peut-être, la peur face à ce que je vais devoir désormais assumer. A., elle, est plutôt joyeuse et apparemment détendue. Après la messe, tous les invités se retrouvent à l’auberge de Boisset à Thizy que nous avions privatisée pour loger de la famille, et où nous avons fait organiser un buffet pour échapper au traditionnel repas qui n’en finit pas et qui finalement limite les échanges aux seuls voisins de table. Un ami s’est chargé de la sono pour faire danser tout ce beau monde jusqu’à une heure du matin, où nous rentrons à Roanne pour nous apercevoir que nous avions oublié de prévoir une chambre… pour nous deux !

Notre première nuit de « mari et femme officiels » se passa dans le canapé convertible du séjour de l’appartement de mes beaux-parents.

Après le mariage, A. veut s’inscrire en fac de français, mais son père insiste pour qu’elle passe le concours de l’école normale pour devenir institutrice. Elle le réussit. Elle est donc rémunérée pendant ses études, c’est l’aubaine pour notre couple. Nous avons une véritable autonomie financière. Comme cadeau de mariage, mon parrain nous loge pendant un an dans un petit studio à Villeurbanne.

Je suis inscrit en terminale, grâce à un ami des parents, aux Chartreux, chez les curés où je suis accueilli un peu fraîchement par le supérieur, en soutane, avec un :

  • Alors, c’est vous qui avez convolé avant l’heure ?
  • J’ai convolé en justes noces. Avant l’heure, c’est votre appréciation, pas la mienne !
  • C’est ce que l’on appelle une différence de point de vue.
  • Parfaitement.

C’est un sage, un type qui sait nommer clairement les choses et reconnaître que je peux voir un avis différent, qui sait me reconnaître comme un adulte, malgré ses airs inquisiteurs. Je suis un peu à part dans ma promo de terminale, le seul marié évidemment. Même quand je ne cherche pas à me distinguer, je suis encore différent.

Le premier soir, nous sommes un peu perdus tous seuls à Villeurbanne dans ce studio impersonnel, même si nous avons obtenu ce que nous souhaitions.

Nous avons réussi à faire face. Nous sommes très heureux et nous faisons l’apprentissage de l’autonomie. C’est un sacré cap à passer, je m’en rends compte avec le recul, et nous l’avons passé avec un sens des responsabilités certainement hors norme pour deux jeunes de dix-huit ans à l’époque. Nous décorons le studio au goût des années soixante-dix, nous suivons chacun sa scolarité à la Croix-Rousse, nous recevons des amis, la famille à dîner. Nous menons la vie de tout jeune couple.

Le week-end, nous rentrons quand même une fois à Thizy, une fois à Roanne. Nos mères nous font une partie de la cuisine pour la semaine.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s