En ce temps-là, un agent infectieux couronné avait pris le contrôle de l’humanité. Le 19 et ses troupes anglaises ou sud-africaines gagnaient du terrain chaque jour. Les radios et télévisions crachaient sans cesse des chiffres, des statistiques : morts, contaminés, hospitalisés. La course à l’armement vaccinal était l’objet de toutes les conversations.
Pour les populations, la résistance passive était organisée : masques, solutions hydroalcooliques, couvre-feu étaient imposés. On nous demandait de travailler et de consommer. Le reste des relations sociales étaient réduites à néant, ou à leur minimum, voire virtualisées.
En ce temps-là, nous redécouvrions combien l’amitié est un bien précieux qui, bien des fois, peut nous sauver la vie. En ce temps-là, un simple déjeuner avec des amis nous redevenait un évènement inoubliable. En ce temps-là, nous goûtions avec un plaisir renouvelé la présence réelle.
En ce temps-là, hier, j’avais réuni quelques amis pour fêter l’anniversaire de ma femme. Après la joie de se retrouver, après quelques libations, après les chants et cadeaux rituels, nous décidons de sortir.
Nous nous retrouvons dans le garage de D. Pour sortir la Jeep un peu encrassée, il faut la pousser jusqu’au jardin, puis jusqu’à la rue en pente. C’est un modèle de 1944, aux couleurs américaines. Il fait beau. La capote restera baissée. Blousons, gants, casques ou casquettes, nous nous équipons au diapason de notre véhicule.
Nous avons rendez-vous avec un autre ami qui, lui aussi, entretient une jeep 44, mais aux couleurs françaises. Le convoi s’organise. Dès le démarrage, nous saisit le vent de la liberté. Chaque fois que nous croisons un promeneur, D. fait retentir la sirène qui sert de klaxon. On se sent vivant dans le regard, parfois éberlué, parfois goguenard, jamais hostile, des passants que nous croisons.
Un instant, le contexte morose n’existe plus. Un instant, nous ne pensons plus à la politique, à l’économie, à la santé, ni même à la culture. Un instant, nous ne sommes que des hommes, libres.

L’instant est passé, c’est l’heure du couvre-feu.